Point de départ
Le présent projet s'appuie sur l'expérience acquise dans un autre précédent qui a permis une incursion exploratoire dans la question des définitions des juristes romains. Il s'agit du projet « Definitio : the concept of definition in law through classical philosophical and legal thought » (https://www.fbbva.es/equipo/proyecto-definitio-el-concepto-de-definicion-en-derecho-a-traves-del-pensamiento-filosofico-y-juridico-clasico-definitio/), financé par la Fondation BBVA dans le cadre de l'appel LOGOS pour les études classiques et dirigé par le professeur Juan Manuel Blanch Nougués, de l'Université San Pablo CEU, au cours des années 2019-2022. Ce projet, jugé excellent par l'organisme de financement, a permis à l'équipe de recherche d'approcher l'objet d'étude, en permettant l'acquisition d'une connaissance de base de la problématique et, surtout, la détection des questions essentielles auxquelles il faut répondre, ainsi que l'identification de la méthodologie la plus appropriée. Partant de l'importance des définitions en droit, nous avons commencé à étudier celles des juristes romains. Dans ce premier projet, nous sommes arrivés à la conclusion qu'elles étaient beaucoup plus importantes qu'il n'y paraissait, et certainement pas aussi rares que Javolenus semblait l'avertir dans son célèbre texte du dernier titre du Digeste (D. 50.17.202 Iav. 11 epist : Omnis definitio in iure civili periculosa est : parum est enim, ut non subverti posset. « (toute définition en droit civil est dangereuse, car il ne suffit pas de l'empêcher d'être modifiée). Contrairement à la vieille école des romanistes (Pringsheim, Schulz et autres) qui affirmait que les juristes romains définissaient peu et avec peu de succès, des savants comme A. Carcaterra et R. Martini ont parlé de l'importance de leurs définitions (dans deux ouvrages publiés sous le même titre, Le definizioni dei giuristi romani et la même année, 1966), tout en laissant une large place à un développement ultérieur, qui n'a pas eu lieu jusqu'à présent et que nous avons l'intention de mener à bien. Le projet précédent nous a permis d'établir les points nouveaux suivants en ce qui concerne les définitions des juristes romains, qui sont des points de départ essentiels pour notre recherche actuelle.
Positions de départ
1. L'échantillonnage effectué dans certains livres du Digeste a indiqué que les définitions apparaissent dans l'œuvre des juristes romains de manière beaucoup plus prolifique qu'on ne le prétend. Cette intuition, déjà soulignée par Carcaterra et Martini, s'est avérée exacte pour l'ensemble des textes que nous avons choisis comme échantillon de vérification. Il est maintenant nécessaire d'étendre cette analyse à l'ensemble du Digeste. Pour que toutes les définitions cachées dans les textes soient mises en lumière, il est nécessaire d'adopter deux hypothèses de départ importantes, absentes des recherches antérieures sur la définition : a. Il faut utiliser un concept de définition large et flexible, en accord avec les conceptions mêmes de la rhétorique classique, qui va au-delà de la définition substantielle à travers le genre et la différence spécifique. Bien que cette définition soit considérée comme la définition par excellence, la définition substantielle, s'en tenir exclusivement à elle revient non seulement à reconnaître un nombre de définitions drastiquement inférieur à la définition réelle, mais aussi à ne pas se conformer à la réflexion des Romains sur la définition. En effet, des auteurs classiques comme Cicéron (De inv. 1.8.10-11 ; 2.17.53, De orat. 1.42.188-191 ; 2.25.108-109 ; 3.29.115, Orat. 33.116 ; Part. orat. 12.41 ; 31.107-108 Top. 2.9-10 ; 5.26-28) ou Marius Victorinus (éd. Halm 180.26 ; 181.41-182.23 ; 193.25 ; 272.29-276.2 ; 300.12), qui se sont occupés de l'exposition du concept de définition, ont reconnu une typologie étendue, dans laquelle, bien que toutes les modalités ne soient pas également parfaites en qualité, elles étaient néanmoins reconnues comme de véritables définitions. b. Il ne faut pas oublier qu'une définition peut être introduite par des termes autres que le verbe definire ou le substantif definitio. C'est précisément l'une des raisons pour lesquelles l'ancienne opinion selon laquelle les définitions des juristes romains étaient peu nombreuses s'est imposée. Cependant, il existe une multiplicité d'indices linguistiques qui indiquent l'existence d'une définition (en correspondance avec la typologie plus large mentionnée au point précédent). Ainsi, par exemple, un velut peut introduire une définition exemplifiante. Dans notre projet, nous entendons prêter attention à tous les indicateurs linguistiques qui peuvent introduire une définition (accipitur, dicitur, est, quasi, velut, significat...). 2. Un autre point d'arrivée de notre recherche précédente et, par conséquent, le point de départ de celle-ci, est la conviction de la nécessité d'interpréter les définitions dans leur contexte si l'on veut identifier correctement leur typologie et leur finalité. En ce sens, il est essentiel de procéder à une interpretatio duplex, qui analyse la définition à la fois dans la place que lui ont donnée les compilateurs de Justinien dans le Digeste et dans son contexte original dans l'œuvre du juriste romain. Il peut arriver que l'objectif d'une définition selon sa place dans le Digeste soit unique et que, lorsqu'elle est replacée dans son contexte d'origine, son objectif et sa typologie changent, ce qu'il est important de noter et d'analyser. La compréhension approfondie d'une définition peut dépendre précisément de cette considération, qui n'a pas été observée dans les études précédentes. 3. Un autre aspect à prendre en compte dans notre recherche est le lien entre le type et la fonction de la définition et le genre littéraire de l'œuvre dans laquelle elle apparaît. En effet, nous avons pu tirer de nos recherches antérieures l'intuition fondée que ce lien existe et qu'il est particulièrement visible dans certains cas (par exemple, les ouvrages à caractère isagogique abondent en définitions à fonction didactique, tandis que les ouvrages plus liés à la pratique du droit, tels que les recueils, sont plus riches en définitions à caractère topique-interprétatif). Pour vérifier cette relation de manière générale, il est nécessaire de disposer des données de toutes les définitions du Digest et d'aborder leur étude d'un point de vue quantitatif et qualitatif. 4. Notre expérience antérieure a montré que les définitions sont inégalement réparties dans le Digest. D'une part, le fait que les compilateurs aient introduit un titre, 50.16, intitulé De verborum significatione, prouve sans équivoque l'importance qu'ils accordaient aux définitions. Néanmoins, ce titre a posé des difficultés aux chercheurs en raison de l'hétérogénéité de son contenu. Nous avons l'intention de l'étudier en profondeur en le mettant en relation avec la structure générale du Digeste, qui est vraiment nouvelle, et nous avons pour cela des chercheurs spécialisés dans cette question au sein de notre équipe. D'autre part, nous constatons également que les définitions sont inégalement réparties à l'intérieur de chaque titre, étant en général plus fréquentes dans les fragments initiaux. Cela ne semble toutefois pas être le cas dans tous les titres, ce qui appelle également une recherche sur les raisons de ce phénomène. 5. La différenciation entre définition et règle est une question difficile. Notre projet précédent nous a fait prendre conscience de cette difficulté, qui nécessite, pour être résolue, une analyse approfondie de chaque cas afin d'essayer de distinguer l'un de l'autre. Il est également nécessaire de partir d'un cadre conceptuel qui, selon nous, ne doit pas être la distinction entre définition et règle dans la pensée juridique actuelle (même si nous allons les étudier pour prendre conscience de la différence de conception), mais doit être basé sur la compréhension de ce que les notions de règle et de définition sont dérivées des œuvres des juristes romains eux-mêmes, afin de ne pas tomber dans l'imposition de moules de pensée anachroniques sur des textes anciens.
Méthodologie
D'un point de vue théorique : - Nous partirons d'une compréhension aussi fine que possible du texte afin de pouvoir le mettre en relation avec le contexte intellectuel et social dans lequel il a été créé. Pour ce faire, nous tiendrons compte de l'auteur de la définition, de l'œuvre et de son genre littéraire, du destinataire du texte, du moment historique dans lequel il a été créé et des interactions possibles avec des domaines culturels connexes, tels que la philosophie ou la rhétorique. - En particulier, il convient de préciser l'importance de la duplex interpretatio, puisque nous prêterons attention à la fois à l'interprétation de la définition dans son contexte dans le Digeste de Justinien et dans son contexte original dans l'œuvre du juriste. - Notre analyse comportera à la fois une vision diachronique, en étudiant l'évolution historique possible de certaines définitions quant à leur contenu, et une vision synchronique, en nous interrogeant, pour la même période, sur les tendances que l'on peut identifier dans leurs définitions : s'il y a des juristes qui définissent plus que d'autres, des lieux, des contextes juridiques ou des institutions dans lesquels la définition est plus fréquemment utilisée, etc. D'un point de vue pratique : Afin de réaliser l'application de la méthodologie décrite ci-dessus, nous avons l'intention d'adopter les actions particulières suivantes, dans le cadre de la méthodologie pratique qui, nous l'espérons, conduira aux résultats escomptés : 1. Lire les ouvrages les plus importants sur la définition en droit romain. L'objectif est de fournir à tous les membres de l'équipe une solide connaissance de base de l'état de l'art. 2. distribution des livres du Digest à tous les membres de l'équipe pour l'extraction des définitions. Notre expérience antérieure nous a montré que, compte tenu de la nature « cachée » des définitions que nous voulons trouver, et de l'état de développement encore insuffisant des outils d'IA pour le traitement du langage naturel dans les langues classiques, la meilleure option pour détecter ces définitions cachées est de procéder à une lecture critique et réfléchie du Digest dans le but de détecter et d'extraire les définitions trouvées. A cette fin, les livres du Digest seront distribués entre les membres du projet, à raison de 2 ou 3 livres par membre, en fonction de leur implication dans le projet. 3. Partage des problèmes lors d'une réunion bimensuelle en ligne. Notre expérience nous a appris que de nombreux doutes surgissent lors de l'extraction de définitions : « Est-ce une définition ou non ? Quelle est sa fonction ? Quel est son type ? Est-ce une définition ou une règle ?... ». Tous les deux mois, nous consacrerons un après-midi au partage des cas les plus difficiles que nous avons rencontrés dans notre travail d'extraction, afin d'en discuter avec toute l'équipe et de trouver une solution. Cette réunion sera consacrée, les deux premières années, à la présentation de problèmes liés à l'extraction de définitions ; la deuxième année, à la révision critique des définitions extraites par un autre membre de l'équipe et à l'analyse des résultats recueillis dans la base de données ; la troisième année, à l'approfondissement des thèmes de recherche propres à chaque membre. 4. Forum de discussion permanent en ligne. Afin de favoriser une communication permanente et fluide entre tous les membres de l'équipe et aussi parce que parfois des doutes peuvent surgir sur une définition spécifique, nous allons mettre à la disposition des membres de l'équipe un forum permanent en ligne, de sorte qu'ils aient toujours la possibilité de partager leurs difficultés avec le reste de leurs collègues sans avoir à attendre la réunion que nous aurons tous les deux mois, pour laquelle nous ne réserverons que les cas les plus problématiques. 5. Inclusion des définitions dans une base de données. Toutes les définitions que nous trouverons seront incorporées dans une base de données qui sera publiée sur le web en libre accès à la fin du projet. L'inclusion des différentes données se fera en fragmentant l'information en différents champs, de manière à ce que, lorsque tout sera terminé, ils puissent être utilisés pour effectuer des recherches selon différents critères. En principe, ces champs seront le livre, le titre et le fragment du Digeste, la référence dans la Palingenesia de Lenel, la référence à l'Édit perpétuel lorsqu'elle est pertinente, le texte du fragment complet, le texte de la définition (definiens), le terme ou l'expression définis (definiendum), le type de définition selon la manière de définir, le type d'ouvrage dans lequel il apparaît, le type de définition selon son objet (dans les deux contextes) et un commentaire dans les cas où l'on apprécie une singularité digne d'une mention spéciale. Elles peuvent être élargies ex post si l'évolution de la recherche révèle qu'il est pertinent d'inclure un autre domaine. 6. Séminaire de clôture de la première phase pour détecter les questions pertinentes d'un point de vue théorique. A la fin de la deuxième année, nous pensons qu'il est nécessaire d'organiser un séminaire en face à face auquel participeront tous les membres du projet afin de partager les conclusions partielles auxquelles nous sommes parvenus dans le processus d'extraction des définitions et de pouvoir définir l'orientation de la recherche pour les deux années à venir. En particulier, nous discuterons des questions les plus pertinentes concernant les résultats de l'analyse statistique des données et nous assignerons aux membres les sujets de recherche qui feront l'objet de la publication finale. 7. Application d'outils informatiques d'analyse statistique à la base de données. Nous avons l'intention d'utiliser des outils logiciels de détection de modèles statistiques pour obtenir des informations à partir de la base de données qui seraient autrement, étant donné le grand volume d'informations, pratiquement impossibles à obtenir. En effet, la base de données sera déjà très utile puisqu'elle permettra à tout utilisateur d'effectuer des recherches à l'aide de divers filtres, mais nous avons l'intention d'aller plus loin. Les outils d'analyse statistique permettent de détecter des modèles et des relations entre les éléments avec une rapidité et une efficacité impossibles à atteindre pour les humains. C'est pourquoi nous espérons que leur application à notre base de données permettra d'éclairer des questions relatives, par exemple, à la concentration éventuelle dans un temps, un lieu, un type de travail, un juriste donné... d'un plus grand nombre de définitions, à leur utilisation plus ou moins importante dans un contexte de pratique juridique ou dans d'autres contextes différents, ou de réaliser une étude comparative du rôle joué par la définition dans le raisonnement de l'ensemble des différents juristes.
Hypothèse
L'hypothèse de départ de ce projet est ce que nous pourrions appeler « l'existence de définitions cachées ». Contrairement au mépris traditionnel des romanistes du premier tiers du XXe siècle pour les définitions qui ne répondaient pas à certaines exigences rigoureusement déterminées, nous pensons que, grâce à l'utilisation de certains marqueurs ou modèles linguistiques auxquels on n'a pas prêté attention jusqu'à présent, il est possible de détecter de véritables définitions qui, en fonction de l'intérêt du juriste et du contexte dans lequel elles sont utilisées, servent un objectif spécifique et pratique conformément au type auquel elles appartiennent (descriptif, étymologique, exemplifiant...). Il en résultera un plus grand nombre de définitions dont l'étude, à l'aide d'outils informatiques d'analyse statistique, permettra de découvrir dans les œuvres des juristes romains des aspects de la définition qui étaient passés inaperçus.